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Flgure 2: cavalier chretien de hania.
Nous venons de voir le bourgeois sedentaire, voici maintenant le voyageur, que
son negoce appelle a parcourir la Oete, sinon d’un bout ä l’autre, du moins dans quel-
ques-unes de ses localites d’un commerce moins sür que les grandes villes.
Necessairement, c est un cavalier. On ne saurait, en effet, frequenter assiduemenjb
les routes montagneuses de la Crete en simple pieton. D’ailleurs, le sentiment de la
dignite qui convient a un gros negociant s unit au soin de sa securite non moins qu a
celui de sa commodite, pour lui commander cette allure. S’il plaisait a quelque adelpki,
fait qui n’est pas rare, de pousser un peu plus loin qu’il ne faut, ä son egard, les conse-
quences de la grande loi de la fraternite humaine, apres avoir essaye de sauver sa caisse
a 1 aide de sa riebe carabine a long canon arme de capucines en argent repousse, de
ses pistolets aux pommeaux et aux batteries finement ciseles, de son yatoghcin, chef-
d’oeuvre d’orfevrerie, si tout cet arsenal restait inutile, comme il est, lielas! bien proba
ble, il aurait du moins la supreme ressource des quatre jambes de son cheval pour sau
ver sa peau.
Pour le moment, ce danger qui n’a rien d’imminent ne l’effraie pas. Il pose crane-
ment une main robuste sur la poignee de son yataghan, tandis qu'il empoigne vigou-
reusement de l’autre le canon de son arme principale, ce fusil a silex dont les voleurs
de grand chemin rient peut-etre sous cape; mais que le gibier ä poil et a plumes a
appris a ses depens a respecter. Sa teste est coiffee d’un fez moins haut que celui du ci-
tadin et d un tissu plus roide, afin que le vent ou le galop du cheval n’en puissent pas
deranger l’harmonie. Le poids d’un puskul enorme n’y dessine pas un pli. L’ensemble
de sa mise est leste, gracieux et commode. La couleur grise v domine en souveraine,
et defie les injures de la poussiere du chemin. Un djamadan en velours rouge ou noir
se montre coquettement par l’ouverture entrebaillee du yelek passemente de laine ou
de soie bleue, et garni de mille boutons destines plutöt a l’ornement qu’a l’utilite. Les
manches du mintan repetent, dans leur partie ouverte, pres des poignets, cette dispo-
sition elegante. Le chalvar dessine sur ses cuisses et sur le haut de ses jambes des plis
souples, disposes de maniere ä ne gener en rien ses mouvements. Enfin, ses bottes mol
les, entierement grises, sont lacees avec soin; eiles epousent et protegent ses formes,
qu’elles font valoir par leurs piqüres multipliees et leurs dessins capricieux.
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