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oü residait pourtant un mudir, ayant sous ses ordres quinze ä vingt gendarmes (zap-
tie). Les defenseurs de l’ordrese barricadaient danslamaison du gouverneur, tandis que
les zeibek exploitaient tranquillement, regulierement, les boutiques de bakkal (epi-
ciers) de boulangers, etc, oü ils renouvelaient gratis leurs provisions, sans se
douter de la haute mission qu’ils remplissaient ainsi, en mettant en circulation la
fortune publique.
Cela aurait pu durer indefiniment, et les grands principes de la communaute des
biens auraient sans doute triomphe ä Panderma sans protcstations efiicaces de la part
des proprietaires, si par bonheur pour eux, un officier comptable franc;ais, assiste d’un
veterinaire, d’un employe civil et du capitaine de port, vieux marin egyptien, debris
glorieux de Navarin, n’avaient pris en mains la cause sacree de la societe menacee
dans ses fondements. II leur suffit de se montrer en costume militaire, decores de tous les
insignes de leurs grades respectifs, sur le chemin de la ferme habitee par les zeibek.
pour les en faire deguerpir si longtemps avant d’y arriver eux-memes, qu’il leur a ete
absolument impossible de les voir de pres. Depuis cette expedition memorable, les bak
kal de Panderma jouissent en paix de tous leur droits, qui ne sont plus soumis a au-
cun partage.
Actuellement, les zeibek, convertis aux saines doctrines, ont conquis l’estime des
gouverneurs generaux du vilayet d’Aidin, qui les emploient volontiers en qualite d’au-
xiliaires du zaptie. Ils servent aussi d’escorte aux voyageurs, et les aident puissamment,
par la consideration qu’inspire la seule vue de leur costume, a obtenir, moyennant
un bakchich—qu’ils empochent religieusement—toutes les facüites desirabies.
On ne saurait en effet rien refuser a des gens dont la ceinture est si ricbement
garnie, et qui, en outre de ces magnifiques pistolets a crosses d’argent cisele, semees de
fleurettes en turquoises et en corail, portent un fusil a long canon, non moins luxueux,
orne d’un nombre de capucines incalculable, et ne ratant peut-etre pas aussi souvent
qu’on pourrait le croire ou l’esperer.
Puis, dans le cas pourtant tres possible, il faut l’avouer, oü le fusil et les pistolets
du zeibek rateraient unanimement, il lui resterait une arme plus süre, ce formidable
couteau yataghan qu’on voit depasser le silahlik, par en haut et par en bas, de toute
l’effroyable longueur de sa poignee en forme de houlette, et de son fourreau pointu
d’argent massif, repousse en bosse et grave en creux.
Le silahlik du zeibek contient tout un monde. En plus des accessoires d’armes,
llarbi (baguette de pistolets), palaska (giberne), sac a pierres a fusil, etc., etc., qui y
figurent a part pour que chacun en puisse admirer la curieuse ornementation, il s’y
trouve egalement des ustensiles pacifiques, tels qu’un tchibouk (pipe), une paire de
pincettes (machet) et un sac a tabac monumental.
Ce n’est pas tout; des cordons en ganse de laine, de soie ou d’or, selon le grade,,
pendent du cou du zeibek jusques sur ses cuisses, et s’entrelacen-t a mi-chemin dans'sa.
ceinture, pour y rattacher solidement une gouide caracteristique, appelee kcibciJc (ei—