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Figure 3: paysanne musulmane des environs de belka.
Si indulgent qu’on doive etre ä l’egard de la plus belle moitie du genre humain,
il est permis sans doute de taxer d’absurde sa eoquetterie alors qu’elle la conduit,
comme la paysanne musulmane des environs de Belka, a preferer aux helles, solides
et peu couteuses etoffes de coton fabriquees dans le pays, les vulgaires cotonnades im-
primees en Angleterre en vue de Fexportation en Orient.
Cette preference ne temoigne pas d’un tres bon goüt; et pourtant, on doit le dire,
tous les defauts de ces etoffes laides et pretentieuses ne leur viennent de rien autre
chose que de l’application des procedes de la grande industrie a leur fabrication. Au
fond, elles sont en quelque sorte orientales, car leurs dispositions generales, le choix de
leurs dessins et de leurs couleurs, sont inspires par l’Orient, et Ton sait que ce sont des
Orientaux, des Armeniens, des Grecs etablis surtout a Manchester, qui inondent la
Grece et la Turquie de ces produits degeneres. Mais lä oü la machine remplace
l’homme, oü eile imprime avec une regularite mecanique et desesperante toujours la
meme fleur, la meme feuille, le meme point rouge ou noir sur des millions de metres
d’un tissu qu’on s’est efforce, par des procedes analogues, d’obtenir ä bas prix, sans
s’occuper d’autre chose, comment l’inspiration premiere pourrait-elle rester a la hauteur
de Fimpulsion qu’elle a recue d’un travail mene en sens tout-ä-fait contraire, douce-
ment, avec soin, et caresse par l’ouvrier, preoccupe avant tout de produire du beau et
du bon, sans s’inquieter plus qu’il ne faut du prix de revient ? Pour tout dire en un
mot, comment le rouleau de l’imprimeur egalerait-il le pinceau du peintre ?
Mais le choix des etoffes n’est pas le seul ecart oü se soit egaree la fantaisie exo-
tique de la paysanne musulmane des environs de Belka ; les ciseaux d’une modistra
habituee a travailler pour la haute domesticite de la ville voisine ont certainement
couru ä travers la pseudo-indienne de son fistan. II est ajuste a la ceinture et fronce
a petits plis sur les hanches et les poignets, ä la franha ; c’est bien ainsi, en effet, que
se taillaient en Europe, il y a deja bon nombre d’annees, les robes courtes des petites
pensionnaires; les Souvenirs de la modistra ne datent pas d’hier, excusons-la pour
l’amour de l’antiquite.
D’ailleurs, son elucubration honnete et moderee a cela de bon (c’est sans doute la
paysanne qui Fa exige ainsi pour plus de commodite), qu’en s’arretant a quelques cen-
timetres au dessus des escarpins vernis et en decouvrant ainsi le chalwar coupe mal
heureusement dans la meme piece d’etoffe, le fistan prend une tournure leste et degagee
qui releve un peu le costume.
Ce qui le releve tout-a-fait, c’est le fez rouge extr^mement bas de forme, pose co-
quettement sur le haut du front, et d’oü se repandent a profusion jusqu’au milieu du