55A
EXPOSITION UNIVERSELLE DE VIENNE.
II faut signaler cette petite eglise comme oeuvre de i’art, et comme preuve
que cette elegante architecture, qui, au xxi e siede, florissait sur les bords du
Rhin, avait aussi penetre en Picardie, et y etait cultivee avec plus de finesse
peut-etre, sinon avec autant de grandiose et de majeste, qu’en Normandie.
On peut dire que 1’eglise de Tracy a plus d’analogie avec le style de la Nor
mandie qu’avec celui des bords du Rbin; mais eile en differe pourtant en plu-
sieurs points, notamment par la forme octogone de la tour et la pente peu
inclinee du toit; or il n’est pas sans interet de remarquer que, sur ce terrain
intermediaire entre Caen et Cologne, un goütpour ainsi dire inlermediaire se
fut introduit. Plusieurs autres observations m’ont confirme ce fait 1 .
J’ai rapporte quelques dessins de Teglise de Tracy, executes rapidement,
mais avec esprit, par M. Rame'e, jeune architecte qui voyageait avec moi. J’ai
pris, en outre, un assez grand nombre de notes sur les details de la conslruc-
tion; mais ce n’est pas assez : il y aurait un ouvrage spe'cial ä composer sur
ce pellt chef-d’oeuvre.
Si nous sortons maiutenant des monuments de transition, et que nous pas-
sions ä l’arcbitecture du xnT siede, c’est-ä-dire ä la perfection du style a
ogive, Tinterieur de la grande et belle catbedrale de Reims m’en a offert le
modele le plus aclieve. L’AHemagne possede des porlails et des tours plus ad-
mirables; mais, pour Teilet interieur, rien ne peut etre prefere au vaisseau de
Reims. En entrant sous ces voütes si pures, si merveilieusement proportion-
ne'es, on reconnait un grand Systeme parvenu a son point de maturite, a son
ide'al : c’est le Parthenon de notre architecture nationale.
J’ai trouve peu d’e'difices du xiv 6 siede. L’eglise Saint-Bertin, a Saint-
Omer, etait peut-etre une des crdations les plus remarquables de ce style eie'-
gant, mais dejä moins severe, moins imposant que celui du siede prdcedent;
par malheur, Teglise Saint-Bertin est ä moitie demolie. Le cloitre de Saint-
Jean-des-Vignes, ä Soissons, que je crois aussi en partie du xiv e siede, est
brillantes encore. Un nouveau eordon de mo-
dillons sculptes les separe des premibres; de
plus, elles sout legerementen relraile, de Sorte
que la tour va en s’auiincissant ä mesure
qu’elle grandit; et, comme il y a un ressaut
entre le premier et le second etage, on a voulu
Tepargner a l’oeil et lui menager une transi
tion en plafant, sur les anglesde la plate-forme
carre'e qui termine le premier etage, des fi-
gures d’anges aux ailes deployees; de cesquatre
figures il en reste encore deux qui produisent
ä peu pres le meine eilet que les acrot&res sur
les frontons des temples grecs.
Enfin les huit arcades sont couronnees par
un Iroisieme eordon de modillons sculptes qui
supporlent un toit de pierre, ebne octogone
trbs-peu incline.
Dans Tinterieur de Teglise, on remarque
une grande cuvelte en pierre, de forme octo
gone, reposant sur quatre courtes colonnettes
ä longues griffes; c’est un baptislbre qui date
du xnT siede, ou peut-etre de la fin du xiT.
Les huit l’aces portent cbacune un ecusson el-
face. A cöle de la cuvette principale en est une
autre plus petite sur un socle octogone et ser-
vant de deversoir a la premiere. De tels mor-
ceaux, assez communs en Augleterre, sont en
France d’une extreme rarete. (Voy. plus baut,
ce qui est dit du baptistbre de Saint-Venant.)
1 Ainsi, par exemple, les modillons ou cor-
beaux, si communs en Normandie, sont tont
a fait inconnus sur les bords du Rbin; en Pi
cardie, vous en rencontrez quelques exemples.
Mais, en revanche, la disposition generale et
Texecution des oruemenls sculptes que vous
Irouvez en Picardie rappellent beaucoup plus
ceux des bords du Rhin que ceux de la Nor
mandie.