140
REVUE DES DEUX MONDES.
idees d’emancipation capables de rompre cette bonne hannonie. »
Cette defiance ne semble s’ötre manifestee que dans quelques cas
particuliers. Les delögues fran^ais se plaignent qu’aucune autre na-
tion, sauf la Suisse, n’ait jugö ä propos d’envoyer ä l’exposition des
ouvriers choisis par leurs caraarades : les cantons de la Suisse, nous
disent-ils, accordörent des subventions ä cette delegation ouvriere.
Ges details montrent que les delegues de 1873 se trouvaient
dans des conditions de complete indbpendance; ils ne recevaient
du gouvernement aucun subside, ils n’etaient plus soumis ä la tu-
telle d’une Commission supbrieure, ils vivaient enfin tous ensemble
dans des chambrees, loin de l’autorite fran<jaise, et ne devaient pas
echapper ä cette effervescence que produit inevitablement le con-
tact prolonge d’un grand nombre d’hommes de meme opinion et de
meme profession. G’est pour cette raison sans doute que les resolu-
tions collectives prises par cet ensemble de delegues sont incompa-
rablement plus radicales que les propositions des differens rapports
partiels. Nous avons dit qu’on devait rediger un rapport d’ensem-
ble : ce rapport n’a pas paru, et probablement ne paraitra pas;
mais aprbs plusieurs Conferences dans les baraquemens de Vienne
le pröambule en a ete arrete et votö. G’est une Sorte de manifeste;
la plupart des reformes qu’il demande n’ont rien en elles-memes
de revolutionnaire : la creation de chambres syndicales, de societes
cooperatives, le developpement de l’instruction generale et de l’in-
struction professionnelle; mais ces vceux sont formules dans des
termes qui sont peu mesures, et on y joint des formules qui te-
moignent d’un grand penchant ä l’utopie. G’est ainsi que, dans les
societes cooperatives de production, le manifeste ne veut admettre
qu’une participation egale pour tous les societaires; c’est ainsi en-
core qu’il declare que les societes de credit mutuel sont un moyen
d’arriver « progressivement ä l’annulation complöte de l’interet du
Capital. » Quand ils s’expriment individuellement, la plupart des
delegues, non pas tous, ont un langage plus retenu et plus sensö.
II est visible que dans les reunions generales l’element violent et
declamatoire domine : la nature humaine le veut ainsi.
La täche des delegues ouvriers ä l’exposition de Vienne etait
double, d’abord technique, ensuite sociale. Les programmes ou les
questionnaires qu’avaient rediges la plupart des corporations ne
negligeaient ni Tun ni l'autre de ces points de vue. Ge serait se
tromper que de regarder les deleguds comme de simples commis-
saires enqueteurs sur la Situation de la population laborieuse ä l’e-
tranger. La plupart ont etudie avec beaucoup de soin les produits
exposes; ils les decrivent et ils semblent les juger avec compe-
tence, gen^ralement avec impartialitö. Les envoyes de certaines
corporations avaient ä examiner quelques problömes speciaux ä