de culpabilite de la culture occidentale. L'art ac-
complit un tour ä 360 degres sur toute l'histoire de
la creativite, prenant dans ses bagages le langage
animiste de l'art primitif.
« Ä leur epoque, aux antipodes d'aujourd'hui, les
impressionnistes avaient parfaitement raison de se
concentrer sur les germes, les sous-bois des appa-
rences quotidiennes. Mais notre coeur battant nous
entraTne vers le bas, vers la profondeur de la terre
primordiale. Le resultat de cette fouille - qu'on la
nomme reve, idee, imagination - ne doit etre pris
au serieux que lorsqu'il est entierement consacre,
avec les moyens figuratifs appropries, ä l'acte de
creation artistique. Ces curiosites deviennent alors
realite, la realite de l'art, qui confere ä la vie un peu
plus d'ampleur qu'elle n'en a en apparence. En ef-
fet, eiles ne reproduisent pas avec plus ou moins
de brio les choses vues, mais elles rendent visible
ce qui a ete decouvert en secret » (Paul Klee).
L'artiste, conscient de son etat de minorite face ä
la brutale et banale majorite du monde visible,
adopte comme fagon d'etre le style de l'emphase,
qui est ä meme d'ausculter les profondeurs. Ce pro-
cessus de dilatation psychologique passe par l'adop-
tion de techniques artisanales qui, de maniere non
fortuite, evoquent le moyen-äge de par l'identite
religieuse de l'art et des langues primitifs. II Signale
l'emergence sentimentale d'un sujet nie en tant
que totalite. Les techniques artisanales de repro-
duction de l'image, telles que la Xylographie, reta-
blissent l'unite du processus de production mis ä
mal par l'avenement de la machine, qui tend ä mor-
celer le travail et ä standardiser le produit. La reha-
bilitation de l'art primitif permet d'introduire au
sein du langage expressif de nouvelles modalites,
capables d'insuffler une nouvelle energie ä un ap-
pareil et ä un alphabet desormais ecule et affecte
par l'avenement des techniques de reproduction
mecanique du signe.
L'art de Brus repond ä l'artifice de ces techniques
de reproduction avec le naturel des procedes arti-
sanaux et d'un langage qui favorise la nature sen
timentale du sujet createur, toujours en quete de
formes d'expression non paralysantes, souples et
en harmonie avec ses besoins. L'artiste repond ä
l'anemie de la realite incolore en representant une
autre maladie, l'exuberance, qui permet de com-
penser la disproportion quantitative qui l'ecrase.
La temperature incandescente de l'osuvre prouve ä
l'artiste que l'art est certes un procede adoptant
ses propres regles et ses langages specifiques, mais
qui ouvre des breches dans l'opacite du quotidien
en apportant une autre Vision du monde.
La Vision antinaturaliste du monde est precisement
le Symptome d'une mentalite qui n'entre pas en
competition avec l'apparence des choses et qui of-
fre une toute autre alternative, par Opposition ra-
dicale et eclatante. C'est l'hypersensibilite qui arme
la main de l'artiste, lequel s'enfonce au plus pro-
fond de ses pulsions avant d'emerger au soleil de
la forme, oü tout devient representation et rien n'est
passe sous silence.
Le style de l'emphase donne une continuite ä ce
processus, conferant une voix et un echo ä des
choses qui autrement seraient reprimees dans son
for interieur. II offre la possibilite d'un echange,
certes avec des tons älteres, et represente une
condition d'impossibilite non seulement sociale.
L'impossibilite touche ä l'etat dionysiaque qui, ä
travers l'exaltation, fröle l'etat de mort adopte par
l'artiste : ce dernier modifie le rythme repetitif de
l'existence standardisee par la Sensation forte de la
creativite. L'art est la seule maniere d'entraTner la
vie vers une condition d'impossibilite pour mieux
en devoiler les angles morts et inertes.
La forte pensee qui empreint l'art de Brus s'enra-
cine dans la Philosophie de Nietzsche, dont il adopte
entre autres la structure morcelee. De meme que
le philosophe allemand procede par aphorismes,
e